Interview de Thierry Hulot : « Il faut financer le médicament à la hauteur des besoins »
Nextep : Tout en s’inscrivant dans la continuité, y a-t-il des changements à attendre au sein du LEEM ; sa façon de travailler, communiquer et agir ?
Thierry Hulot : Tout d’abord, je tiens à souligner – de même que les autres administrateurs du LEEM - que Frédéric Collet a réalisé un travail remarquable, notamment avec cette capacité de renforcer la cohésion du groupe, de ne refuser aucun débat et donner des lignes claires. Je m’inscris et revendique donc totalement cette continuité. Cela dit, nous vivons dans un monde où il faut s’adapter en permanence. Au sortir d’une période électorale que l’on peut qualifier de compliquée, le LEEM doit être au rendez-vous des nouveaux interlocuteurs, que ce soit au Parlement, au Gouvernement ou dans l’administration.
« Si l’on veut servir correctement les patients français, il faut une industrie forte et donc un syndicat professionnel fort »
Douze heures après l’élection, il n’est pas évident de rentrer dans le détail. Mais des discussions ont eu lieu pendant la campagne avec les différentes familles qui composent le LEEM. Et nous avons tous cette conviction que, si l’on veut servir correctement les patients français, il faut une industrie forte et donc un syndicat professionnel fort. Cela implique des lignes de revendication et des lignes rouges, par exemple sur la régulation, la stabilité, la visibilité réglementaire fiscale. Il faut également être dans l’écoute des parties prenantes sur les sujets qui sont fondamentaux : attractivité en termes de recherche, développement, de production... ; y compris au niveau européen. Ce sont des axes que je veux mener avec le CA.
« On ne pourra pas reconsolider le système sans le médicament »
Nextep : Vous avez évoqué le PLFSS dans vos priorités. Qu’en attendez-vous ? Quelles dispositions souhaiteriez-vous avant tout voir adoptées ?
Thierry Hulot : Le PLFSS représente tous les ans une discussion compliquée. En sortie de Covid (si l’on peut dire, à l’heure de la septième vague), il y a un besoin de refinancer l’hôpital et de réengager les professionnels de santé. On se vante en France de la qualité du système français : on en a vu la robustesse mais aussi les fragilités. Et on ne pourra pas le reconsolider sans le médicament. Or, cela fait 10 ans que le système vit en baissant les prix des produits matures pour financer l’innovation. C’est une approche qui est à bout de souffle. D’ailleurs, le premier problème de santé publique en lien avec notre secteur pendant la crise a été celui des tensions d’approvisionnement avant même la question du vaccin.
Un patient qui a un cancer a évidemment intérêt à pouvoir bénéficier des derniers traitements. Il faut donc un modèle économique pour l’innovation. Mais, en parallèle, il va également avoir besoin de tout un tas d’autres produits ; qu’il ne faut pas ignorer.
Si j’avais une baguette magique, je demanderais que le PLFSS évalue le budget médicaments à la hauteur des besoins qu’il y aura à couvrir en 2023.
« Il ne s’agira pas de repartir sur les niveaux de 2021 et 2022, largement insuffisants »
Nextep : Y a-t-il un montant déjà ciblé ?
Thierry Hulot : Heureusement, le LEEM n’a pas attendu mon élection pour travailler sur le sujet. Sans donner de chiffre précis à ce stade - car il va falloir en discuter avec l’administration, en fonction notamment du tendanciel et de l’horizon scanning - je peux vous dire qu’il ne s’agira pas de repartir sur les niveaux de 2021 et 2022, largement insuffisants.
A ce sujet, je voudrais rappeler que l’intention – louable - de la Clause de sauvegarde était de fonctionner comme une ceinture de sécurité. Mais cela devient incompréhensible quand l’on sait déjà au moment où le seuil est fixé dans le PLFSS qu’elle va se déclencher. Cela la transforme en impôt structurel. Et lorsqu’on l’additionne à la fiscalité spécifique, on s’aperçoit que le secteur n’a jamais été autant été taxé qu’actuellement.
« S’il n’y a pas un modèle économique qui permette aux médicaments de vivre, ce sont les patients qui en pâtiront »
Nextep : Pensez-vous qu’il sera facile de se faire entendre, surtout sur des sujets techniques, par rapport notamment aux problématiques à l’hôpital et avec ce nouveau contexte parlementaire et politique ?
Thierry Hulot : Ne faisons pas de procès d’intention. Ma méthode est d’aller à la rencontre, d’être pédagogique et de coconstruire. Pharmacien, entrepreneur, directeur à l’échelle mondiale… toutes mes expériences m’ont amené à une conviction : s’il n’y a pas un modèle économique qui permette aux médicaments de vivre, ce sont les patients qui en pâtiront. En France, tous les acteurs sont attachés à un système qui protège les citoyens, indépendamment des moyens financiers. C’est cela qu’il faut montrer et de là qu’il faut partir. Il faut donc financer le médicament à la hauteur des besoins.
Je suis par ailleurs un grand militant du travail avec les pouvoirs publics et dans les territoires, notamment sur l’efficience des parcours de soins.
Nextep : Pensez-vous que le LEEM pourrait renforcer les échanges et le travail avec les représentants de patients et d’usagers ? De quelle façon ?
Thierry Hulot : L’évolution de la société ces dix dernières années fait que le citoyen veut être partie prenante. Dans la santé, le patient est bien entendu extrêmement légitime. Le postulat est simple mais il s’agit maintenant de voir concrètement comment on le met en place pour que cela crée de la valeur. A ce sujet, j’ai la volonté d’une réflexion avec les administrateurs et permanents afin d’élaborer des propositions qui permettront de donner plus de « share-voice » aux parties prenantes, dont les associations de patients. Là encore, la première étape sera déjà d’aller à la rencontre et de dialoguer avec les uns et les autres.
Nextep : La France peut-elle mener à bien l’ambition du plan Innovation Santé 2030 d’être un leader du domaine d’ici quelques années ?
Thierry Hulot : Si je ne le pensais pas, je ne serais pas devenu Président du LEEM. On a tendance en France à s’adonner à un certain pessimisme voire une dévalorisation. Certes, la tâche est énorme et l’ambition élevée mais il est certain que l’on peut faire mieux en 2030 qu’en 2022. Donc il faut s’y mettre.
Pour l’attractivité de la France, notamment en recherche et recherche clinique, nous disposons déjà de systèmes académique et universitaire très performants mais aussi d’un écosystème de start-ups très fertile, fédéré au niveau des territoires par les pôles de compétitivité. Autant d’atouts sur lesquels s’appuyer et construire.
En parallèle, il y a des améliorations sur lesquelles il faut travailler. Par exemple, les patients qui sont inclus dans un essai clinique se situent en moyenne à deux heures d’un CHU ; ce qui constitue une barrière. On constate d’ailleurs un faible taux de recrutement dans les établissements alors qu’un réservoir existe. A ce titre, je milite pour réfléchir aux essais cliniques décentralisés, amenés au chevet du patient plutôt que l’inverse.
« Important de mettre tout le monde autour de la table, pour que les gens travaillent en bonne intelligence plutôt qu’en concurrence »
Au titre de Merck, je me suis beaucoup investi dans la création de France BioLead, une alliance qui vise à développer la bioproduction française, car je jugeais là aussi important de mettre tout le monde autour de la table, pour que les gens travaillent en bonne intelligence plutôt qu’en concurrence.
Nous disposons également en France d’une collecte de données fabuleuse, avec le projet de Health Data Hub qui est particulièrement porteur et dont la problématique tourne surtout autour de la gouvernance.
Nextep : Au final, quels sont vos vœux en ce début de mandat ?
Thierry Hulot : Pour le premier, je reprendrais la nécessité d’avoir un PLFSS qui prenne l’ampleur de la mesure de la demande, y compris la prise en compte de l’inflation.
S’agissant du LEEM, je souhaiterais que l’on soit davantage visible au niveau européen. Car je crois en l’Europe de la santé et je vois la France en fer de lance dans cette optique. Cela fait partie des attentes des citoyens et des projets sont déjà en cours au niveau de la Commission, notamment la révision de la législation pharmaceutique européenne et la mise en place du Règlement HTA (Health Technology Assessment ou Evaluation des Technologies de Santé). Ces sujets seront naturellement à travailler avec les associations sœurs dans les autres pays et aussi à travers le syndicat européen, l’EFPIA.
Encore une fois, je crois fermement que la France a beaucoup d’atouts. Mais l’optimisme ne suffit pas. Il faut maintenant se retrousser les manches et y aller.