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Tribune de Philippe Lamoureux : « L’Europe de la santé est-elle une utopie ? »

08.12.22
L’échelle européenne pour gérer la santé – et en particulier le médicament – est un niveau tout à fait pertinent, voire inévitable. Une révision de la législation pharmaceutique communautaire est d’ailleurs en cours et c’est une ouverture, à condition que les mécanismes qui ont fait leur preuve ne soient pas remis en cause.

La réponse est claire : l’Europe de la santé n’est pas une utopie, elle est déjà une réalité. Qui a commencé dès les années 90 avec la création d’instances spécialisées : l’Agence européenne des médicaments puis le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Depuis, de nouvelles initiatives sont régulièrement mises en place, à l’instar du règlement pédiatrique.

En revanche, il est vrai que cette Europe de la santé a encore du pain sur la planche, et la crise sanitaire du Covid a mis en exergue certaines fragilités. Prenons le cas de la production de médicaments. L’Europe s’est enfoncée au fil des années dans une situation de dépendance. D’abord, pour nos médicaments matures (ceux que l’on connaît bien) : 80 % des principes actifs proviennent d’Asie. Mais aussi pour les produits innovants : seuls 22% des nouveaux traitements proviennent d’Europe (47 % des États-Unis). Nous pourrions tout aussi prendre l’exemple du cadre réglementaire. L'Europe est beaucoup plus lente à approuver les nouveaux médicaments que les États-Unis, le Japon, le Canada ou encore l'Australie, et avec des délais très hétérogènes entre les pays membres. Ces constats ont été largement partagés et la Commission a décidé en 2021 de consolider son rôle avec la mise en place de la nouvelle agence HERA et le renforcement de l’ECDC. Une stratégie pharmaceutique européenne a été également annoncée, accompagnée d’une révision de la législation communautaire. Des perspectives intéressantes, à condition bien sûr qu’il s’agisse d’une harmonisation globale et non d’un empilement de règles nationales, créant davantage de retard dans l’accès des patients aux médicaments.                              

La vraie question serait finalement : « L’Europe de la santé est-elle une chance ? ». Comment faire pour que la révision de la législation pharmaceutique soit l’occasion pour l'Europe de regagner le terrain perdu et de (re)devenir un acteur incontournable ?

Les entreprises du médicament ont identifié pour cela quatre défis prioritaires :

  • L’innovation médicale. La question n’est pas de savoir si elle aura lieu, mais où elle aura lieu. Entre 1990 et 2019, les investissements en R&D en Europe ont été multipliés seulement par 4,9, alors qu'ils ont été multipliés par plus de 9,5 aux États-Unis.
  • L’accès des patients aux médicaments. Un accès plus rapide et plus équitable nécessite une compréhension commune des obstacles et des retards, ainsi que des engagements concrets de la part de l'industrie, de l'UE et des états membres. Nous devons cocréer un cadre pour une tarification échelonnée, afin que le prix des médicaments innovants puisse varier d'un pays à l'autre en fonction du niveau économique.
  • Les médicaments orphelins et pédiatriques. Les règlements associés sont des réussites de l'UE, qui ont permis de fournir des traitements à des millions de patients.
  • La propriété intellectuelle. Elle encourage et protège l'innovation, ce qui favorise les investissements en recherche et développement dans des domaines où les besoins médicaux ne sont pas satisfaits. Certaines des propositions examinées par la Commission européenne dans la révision de la législation suggèrent d'affaiblir les droits de propriété intellectuelle. Or, sans protection de la propriété intellectuelle, il n'y a aucune incitation à investir dans l'innovation médicale. Et sans innovation, il n'y aura tout simplement pas de nouveaux médicaments…