Intervention de Thierry Hulot - Universités de Pharmaceutiques
C’est notre ADN d’entreprises du médicament de concevoir des solutions pour les patients en attente de réponses thérapeutiques.
Une vision long-terme de l’innovation avec l’Horizon Scanning…
La dernière décennie a déjà été fertile en innovation (onco-immunologie, infectiologie, maladies rares, vaccins).
Des innovations de rupture sont à nos portes.
Deux exemples pour illustrer :
- L’ARN messager que tout le monde connaît depuis le Covid. Dès 2025, le vaccin contre la grippe pourrait utiliser cette technologie. Et ça ne concerne pas que les vaccins, il y a des pistes de recherche pour des thérapies dans de nombreuses maladies (maladies infectieuses, cancers…).
- CRrispR cas9, un outil permettant de modifier l’ADN. Il faut réaliser que cette technologie étend les possibilités de la génétique à l’infini, aucun secteur de la biologie n’y échappe, et de nouvelles applications sont publiées tous les jours.
Avec les thérapies géniques et cellulaires, une arrivée massive d’innovations est prévue dans les prochaines années.
Ce rythme ne cesse de s’accélérer et plus de la moitié des nouvelles AMM sont associées à des médicaments avec des mécanismes d’action nouveaux.
Le Leem a réalisé une analyse prospective des innovations en cours de développement, qui permet de fournir une vision globale des médicaments, indications ou technologies en développement qui sont susceptibles d’accéder au marché dans les 3 à 5 ans.
L’objectif est de pouvoir anticiper les impacts organisationnels, financiers et réglementaires des innovations pour les accueillir au mieux.
Le taux d’attrition associé parfois très élevé témoigne d’importantes prises de risque par les industriels.
L’Horizon Scanning montre que demain, les thérapies géniques et cellulaires vont pénétrer la quasi-totalité des aires thérapeutiques, et que cela va conduire à un bouleversement des pratiques à l’hôpital (organisation à revoir…).
L’ensemble des résultats et des recommandations de l’Horizon Scanning seront publiées au mois de septembre.
… qui demande un environnement porteur
Plusieurs constats nous ont alerté :
La France n'exploite pas son plein potentiel d'innovations et stagne au 3e rang des puissances européennes en matière d'essais cliniques ; il faut actuellement 160 jours pour démarrer un essai clinique en France, alors que l’objectif visé par le plan gouvernemental France 2030 est de 120 jours.
Peu de nouveaux médicaments sont fabriqués en France, ce qui accroît notre dépendance vis-à-vis de l’étranger.
Avec une fiscalité la plus forte d’Europe et des prix parmi les plus bas, la France pénalise fortement le développement des entreprises du médicament.
Le cadre réglementaire français se rigidifie progressivement tout en créant un paysage instable qui décourage l’investissement de ce secteur pourtant stratégique pour la France.
Malgré des atouts réels et des mécanismes dérogatoires qui ont fait leur preuve (accès précoce), le Baromètre 2024 du Leem a révélé un faible niveau d’attractivité.
Le Leem est convaincu que cela n’est pas une fatalité. Les conclusions du Baromètre 2024 doivent mener à des décisions politiques dont certaines dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025 (PLFSS) :
- Enclencher d’urgence la réforme du financement et de la régulation du médicament.
- En mettant en place un budget du médicament qui intègre les nouveaux besoins des patients.
- En déployant une nouvelle stratégie de régulation dès 2025 pour amorcer le retour à une clause de sauvegarde soutenable, inférieure à 500 millions d’euros en 2027.
- En renforçant l’accord-cadre entre le Leem et le CEPS pour soutenir la souveraineté sanitaire et l’investissement industriel.
Pour gagner du temps dans l’accès au médicament : allègement des procédures superflues dans l’arrivée des innovations, réviser les réformes récentes qui bloquent la prise en charge des prochaines thérapies géniques et cellulaires, saisir l’opportunité de l’évaluation clinique commune européenne et harmoniser les outils de lutte contre les pénuries.
Anticiper l’arrivée des innovations dans le système de soins en coconstruisant avec les décideurs publics une approche prospective de l’innovation au niveau national.
Moderniser l’appareil de production pour que la France redevienne le leader européen de l’innovation en santé.
Moderniser l’évaluation médico-économique pour qu’elle prenne en considération l'impact du médicament sur l'organisation des soins et les économies générées par l’utilisation du médicament.
Favoriser les transitions numériques, écologiques et sociales.
Reconnaître la contribution des entreprises du médicament à la prévention, au travers notamment du Bon usage (polymédication des personnes âgées, lutte contre l’antibiorésistance et le gaspillage) dans un but de santé publique et d’économie.
Il n’y aura pas d’accès sans soutenabilité économique.
Notre modèle de régulation est à bout de souffle, il faut le repenser.
Nous devons revendiquer des réformes structurelles du système de santé. Comme l’a montré la mission interministérielle qui a rendu ses conclusions en août 2023, le financement et la régulation du médicament doivent être réinventés.
L'équation est simple : ou nous réformons en profondeur, ou nous condamnons notre système de santé. Sans soutenabilité économique, il n’y aura pas d’innovation.
La santé doit être appréhendée, non sous le seul prisme de la dépense et du coût, mais comme un investissement, une ressource et une chance pour anticiper les défis collectifs que nous aurons à connaitre : vieillissement de la population, lutte contre l’antibiorésistance, mutations démographiques et épidémiologiques…
Passer d’une logique comptable à une logique d’investissement pour les patients.
L’investissement en santé de l’État doit permettre de mettre à disposition de tout patient le traitement ou le soin dont il a besoin au moment où il en a besoin, quel que soit l’endroit où il se trouve sur notre territoire.
Valoriser ce que le médicament apporte comme économies dans le parcours de soins et en tenir compte dans le prix.
Un déterminant essentiel à la conduite de politique publique fait défaut : la pluriannualité des ressources, pour investir et innover au service des patients.
Aujourd’hui, nous sommes tous prisonniers d’une logique comptable annuelle, dépourvue de vision, décorrélée des priorités de santé.
À l’instar des lois de programmations pluriannuelles déjà existantes dans d’autres domaines (finances publiques de l’État, défense, recherche, énergie…), la santé doit se doter d’une réelle vision prospective.