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Santexpo - Antibiorésistance : « Le besoin médical ne fait pas le marché »

18.05.22
La résistance aux antibiotiques pourrait faire jusqu’à 10 millions de victimes par an d’ici 2050 et coûter jusqu’à 100 000 milliards de dollars à l’économie mondiale. Alors qu’une prise de conscience globale semble aujourd’hui incontestable, il reste tout de même un obstacle majeur pour faire avancer la recherche de nouveaux antibiotiques : le modèle économique actuel. Lors d’une table ronde organisée le 17 mai par le Village des entreprises du médicament au salon Santexo, 4 intervenants ont échangé sur ce sujet.

1928. Le biologiste écossais Alexander Fleming découvre la pénicilline. Dix ans plus tard, les sulfamides, dont l’action fut mise en évidence par des pasteuriens, seront largement utilisés et sauveront des milliers de vie pendant la seconde guerre mondiale. C’est une révolution médicale qui a changé la face du monde et fait chuter drastiquement l’impact des maladies infectieuses. Mais le remède n’est pas éternel. Au début des années 90, apparaissent de plus en plus de bactéries résistantes aux antibiotiques, en partie en raison d’un mauvais usage des antibiotiques.

La bombe à retardement

Des médecins se retrouvent dans des situations d’impasse thérapeutique quand, face à certains patients, aucun antibiotique n’a plus le moindre effet sur leur infection. Les risques ? Le choc septique, voire la mort. Puis le phénomène s’accélère : aujourd’hui en France, 27 % des souches de pneumocoques s’avèrent insensibles à la pénicilline, alors que cette résistance était quasiment nulle il y a vingt ans. Escherichia coli, responsable de 25 % des infections chez l’Homme, est aussi devenue de plus en plus résistante au fil du temps. « Dans une étude publiée récemment dans The Lancet, des scientifiques ont dénombré 5 millions de décès en 2019 associés à l’antibiorésistance, dont plus de 2 millions directement dus à des bactéries multirésistances », explique Thierry Naas, Pr de microbiologie au CHU Bicêtre. Certains pays comme l’Inde et l’Afrique Sub-Saharienne sont davantage touchés mais personne n’est épargné. La course contre la montre est lancée. « Aujourd’hui, nous sommes en train de faire, en quelque sorte, marche arrière en perdant régulièrement des médicaments de notre arsenal thérapeutique », ajoute Eric Baseilhac, directeur Accès, Economie, Export du Leem.

Un besoin sans marché

Les solutions, tout le monde en cherche. D’après Evelyne Jouvin-Marche, directrice de recherche Inserm, « de nombreux programmes de recherche dédiés à l’antibiorésistance ont été mis en place avec tous les organismes nationaux académiques ». Parmi les axes principaux de travail, il y a évidemment la transmission de l’antibiorésistance - chez l’Homme, l’animal et dans l’environnement - et la recherche d’alternatives thérapeutiques. Mais le sujet est bien plus vaste et requiert une véritable approche holistique. Par exemple, les scientifiques se penchent sur les sciences humaines et sociales pour comprendre l’usage des antibiotiques et le comportement des populations.

Les start-up aussi sont sur le coup. Depuis 2015, la BEAM Alliance représente plus de 60 petites et moyennes entreprises européennes impliquées dans le développement de produits innovants pour lutter contre l’antibiorésistance. Pour elles, le parcours est complexe car la recherche de solutions innovantes ou le développement de nouveaux antibiotiques coûtent extrêmement cher. « 80 % de l’innovation est concentrée dans des petites structures sans revenus, dont le business model est de lever des fonds. La problématique de l’antibiorésistance, c’est que le besoin médical ne fait pas le marché », alerte Marc Lemonnier, dirigeant fondateur d’Antabio.

Biologistes et économistes face à un ennemi commun

Comment faire pour que les pays aient intérêt à mettre sur le marché de nouveaux antibiotiques ? Un consortium a été lancé en janvier avec la Toulouse School of Economics, Biomérieux, les Hospices Civils de Lyon et la BEAM alliance pour y réfléchir. Les « plus gros » industriels sont également concernés. Aurélie Andrieux-Bonneau, directeur politiques de santé, affaires publiques et communication de MSD, le confirme : « la question du modèle économique est centrale aujourd’hui. Nous réfléchissons à la façon dont nous pourrions décorréler le volume du prix, en tenant par exemple mieux compte de la valeur ». Désormais c’est clair, la lutte contre l’antibiorésistance passera par une innovation économique.