Innovation & Santé

Favoriser la recherche et l'accès aux innovations en santé mentale

30.03.23
Une problématique de santé publique qui affecte plus de 8 millions de personnes prises en charge avec des conséquences sociales et économiques majeures.

La crise sanitaire liée au Covid-19 a provoqué une prise de conscience du problème de santé publique que représente la santé mentale et plusieurs enquêtes témoignent de sa nette dégradation en France.

Selon l’enquête Santé Publique France (1), près d’un tiers des personnes interrogées présentaient, début 2022, les signes d’un état anxieux ou dépressif inscrivant de façon durable et importante l’impact de la crise sanitaire sur la santé mentale.
L’enquête IPSOS pour la fondation FondaMental (2) révèle quant à elle que 26% des personnes interrogées présentent une suspicion de trouble anxieux généralisé, un taux qui monte à 41% pour les 18-24 ans et à 37% parmi les professionnels du secteur de la santé. Un tiers des plus de 75 ans souffrent de symptômes dépressifs et 5% à 10% de dépressions sévères (3).
En France en 2019, 8 millions de personnes ont été prises en charge pour une pathologie ou un traitement chronique en lien avec la santé mentale (3). La prévalence de la santé mentale atteint en France près de 17% et concerne l’ensemble de la population (4).

Son impact sur les dépenses de santé est considérable et les dépenses de l’assurance maladie (maladies psychiatriques et traitements chroniques par psychotrope) s’élevaient en 2020 à 23,3 milliards d’euros soit 14% des dépenses totales.
A ces dépenses, il convient d’ajouter celles liées aux pathologies somatiques très souvent associées (cancers, risques cardiovasculaires, …) ou aux conséquences sociales et économiques, bien plus élevés (5).
L’ensemble des couts directs et indirects (perte de qualité de vie, perte de productivité) a ainsi été estimé en France à 160 milliards d’euros (6) et représente à l’échelle de l’Europe plus de 4% du PIB de l’UE (7), faisant de la santé mentale un enjeu majeur de santé publique.
Pourtant, la psychiatrie a toujours été le parent pauvre de la médecine : la recherche en santé mentale ne bénéficie que de 4,1% du budget alloué à la recherche en santé, budget insuffisant au regard des enjeux posés par la santé mentale en France.  

 

santé mentale


Un manque et un besoin d’innovations pour relever les défis que pose la santé mentale

Néanmoins, en dépit des mesures mises en place et des investissements envisagés pour apporter des solutions concrètes à la prise en charge et au financement de la santé mentale, ces initiatives restent insuffisantes notamment pour que la recherche et l’innovation puissent contribuer efficacement à l’amélioration de la qualité de vie et de la prise en charge des patients.


1.    Les retards de diagnostic et de prise en charge, les taux élevés d’hospitalisations inadéquates, les ré-hospitalisations fréquentes ou encore les sorties d’hospitalisation sans continuité des soins accroissent les risques de ruptures de parcours (5) ainsi que ceux d’évoluer vers des pathologies plus lourdes et donc plus coûteuses (8).
Les innovations numériques et thérapeutiques pourraient améliorer le diagnostic, le suivi proactif, la prise en charge et la qualité de vie des patients tout en soulageant le poids des hospitalisations.
2.    Le modèle de financement des établissements publics de santé mentale limite l’accès équitable aux innovations ainsi que notamment la prise en charge des soins somatiques intercurrents. Les patients qui souffrent de problèmes de santé mentale sont en effet très souvent affectés par d’autres pathologies : cancers, maladies métaboliques, cardio-neurovasculaires, …. En 2018, la mauvaise prise en charge cardiovasculaire des patients qui souffrent de problèmes psychiatriques générait un surcout net de 100M£ pour le NHS, un montant probablement du même ordre pour la France (3).
A ce problème de prise en charge, s’ajoute celui du modèle de financement des établissements spécialisés en psychiatrie qui ne bénéficient pas de dispositifs pour la prise en charge des traitements onéreux comme c’est le cas en MCO ou SSR.
En France, l’assurance maladie observe que les hospitalisations en santé mentale sont souvent également associées à de courts séjours en MCO (3). Ainsi, selon les régions et les établissements, les patients se voient parfois contraints à des ruptures de traitements pour l’une ou l’autre de leurs pathologies, psychiatrique ou somatique, qui n’est pas sans conséquence sur les dépenses associées.  Cette contrainte financière pèse bien évidemment fortement sur l’accès à l’innovation tout en étant potentiellement source de couts supplémentaires (interruptions de soins et conséquences associées).
3.    Au-delà de l’accès aux innovations, leurs évaluations restent difficiles et nécessiterait la définition de critères plus robustes concernant les méthodes d’essais cliniques, la typologie et le recueil de données, la participation active ou encore la prise en compte des retours des patients.  
4.    Le besoin d’identification de biomarqueurs pertinents, de constituer des cohortes longitudinales appropriées, … est pénalisé par un manque de structuration et de pilotage de la recherche en santé mentale et le déficit de partenariats publics/privés en santé mentale en comparaison à d’autres domaines en est une des manifestations.
5.    En conséquence, cette difficulté à porter l’innovation organisationnelle, diagnostique et thérapeutique jusqu’aux patients se traduit par un manque d’attractivité de cette discipline tant sur le plan médical qu’en recherche qui limite l’innovation et indirectement alourdit les coûts.

Pour renverser cette logique et optimiser la prise en charge et la qualité de vie des patients, il conviendrait de :
-    Encourager la recherche et le développement d’innovations en santé mentale
o    en soutenant notamment les initiatives de structuration et de coordination : PEPR, réseaux cliniques, cohortes, infrastructures, …
o    en soutenant la recherche pour une approche plus préventive, personnalisée, prédictive et participative à travers notamment le PEPR
o    en faisant évoluer la formation en psychiatrie pour rendre la clinique et la recherche en santé mentale plus attractive
-    Favoriser l’accès aux innovations thérapeutiques et aux outils numériques
o    en définissant la valeur apportée par les solutions thérapeutiques ou digitales à travers une meilleure définition des comparateurs avec la conception de nouvelles modalités d’essais cliniques (biomarqueurs biologiques et sociaux) et en valorisant la perspective patient.
o    en permettant un accès équitable aux innovations pour les patients en établissements de soin psychiatrique par la mise en place d’un dispositif équivalent à ce qui a été instauré en SSR, afin de permettre la prise en charge des soins onéreux et éviter les interruptions de soins coûteuses d’un point de vue médical, économique et sociétal.
-    Transformer le parcours patient et l’organisation des soins en encourageant notamment l’accès au monitoring digital en santé mentale pour améliorer le diagnostic et le suivi.

 

Notes :

(1) Enquête coviprev
(2) Fondation FondaMental
(3) Rapport « Charges et Produits pour 2022 » de l’Assurance maladie
(4) Global Health Data Exchange, ghdx.healthdata.org  
(5) Les parcours dans l’organisation des soins en psychiatrie – Février 2021. Cour des Comptes.
(6) Laeticia BLAMPAIN (2021) URC Eco, FondaMental. Coût des maladies psychiatriques en France en 2018
(7) Conférence ministérielle sur la santé mentale des jeunes vulnérables. 14 et 15 mars 2022. PFUE
(8) Ouaiby et al. (2016). Duration of untreated psychosis: A state-of-the-art review and critical analysis. Encephale.