L'innovation en santé et l'éthique
Les questions éthiques évoluent sous l'effet des transformations technico-économiques et scientifiques, des modifications des attentes des citoyens et des comportements des parties prenantes.
Ainsi, les questions "traditionnelles" (de relation patient-soignant - fin de vie, procréation médicalement assistée, information...) ou d'interactions entre acteurs (conflits d'intérêts entre industriels, recherche, professionnels de santé, place et reconnaissance des lanceurs d'alerte) se posent de manière nouvelle, notamment au regard du développement de l'innovation expérimentale.
Cette dernière permet en effet la mise en place de dispositifs de soins innovants, qui nécessitent des liens étroits, translationnels, entre acteurs, et une nouvelle gestion de l'information des patients impliqués.
Et, surtout, de nouvelles questions éthiques émergent fortement, conduisant à un élargissement considérable des territoires de la bioéthique ou de l'éthique en santé, et ce dorénavant sur l'ensemble des chaînes d'intervention des acteurs (épidémiologie, recherche clinique, essais thérapeutiques, accès, usages.).
La reconnaissance en devenir des questions éthiques (de leurs différentes composantes, tenants et aboutissants, situations limites) par les acteurs, allant de la recherche jusqu'aux soignants, en passant par les associations de patients, les acteurs de l'industrie et des services, est un préalable à leur intégration nécessaire pour envisager une adéquation entre vecteurs d'innovations, aspirations et progrès en santé.
Ainsi, les critères éthiques deviendront déterminants dans l'évaluation de l'innovation et toucheront directement la confiance et la réputation des parties prenantes.
Quelques questions éthiques nouvelles
• Quelles limites à l'utilisation et à la valorisation des données massives récoltées à partir de données individuelles ?
• Comment évoluent les responsabilités dans le cadre du développement du "médicament service" et de la médecine connectée (entre le patient, les intervenants de santé, les opérateurs de services le cas échéant) ?
• Quelles limites à la relation potentielle entre le patient et les acteurs économiques concernés (y compris les géants de l'internet) ?
• Quelles exigences pour l'éducation thérapeutique du patient demain (et des aidants, auxiliaires de vie.) au regard des questions éthiques posées par exemple par la surveillance croissante des comportements (quid du libre arbitre, de la possibilité de retrait) ?
• Quelles limites (commerciales, d'accès, d'obligation d'information et d'éducation) face aux tests individualisés en fort développement (tests génétiques, autotests variés accessibles aujourd'hui à l'étranger, avec des logiques souvent plus commerciales que thérapeutiques) ? L'information génétique est une information très sensible et très convoitée, mais également utile et nécessaire pour construire le progrès thérapeutique.
• Quelles limites à l'utilisation et à la valorisation des gigantesques bases de données issues du séquençage d'ADN à très haut débit ?
Au-delà des questions éthiques liées aux évolutions de la relation thérapeutique et des relations entre acteurs, la "nature humaine" est de nouveau interpellée.
Médecine personnalisée ou stratifiée ?
La médecine personnalisée, c'est-à-dire adaptée à chaque patient, est annoncée.
A ce jour cependant, la science est encore loin d'une telle médecine. Se dessine plutôt une médecine dite stratifiée, reposant sur une définition de sous- groupes étroits de patients, permettant de trouver les molécules soignantes les plus appropriées, afin d'aboutir à une plus grande efficacité médicale.
L'information délivrée au patient doit donc être transparente, honnête et non basée sur de fausses promesses. Un effort très significatif de réalisme et de clarification doit être envisagé par les parties prenantes.
Par ailleurs, la question des fragilités, du grand âge et des possibilités intellectuelles a été soulevée à plusieurs reprises.
Le risque de discrimination involontaire dans le cadre de la mise en place de l'approche 6P est important.
Les individus connectés et leurs comportements, accélérateurs des problématiques
Nous sommes devenus des hommes et des femmes connectés. Nos smartphones sont des ordinateurs 100 000 fois plus puissants que ceux qui ont envoyé un homme sur la Lune.
Et cet ordinateur hyper-puissant nous donne des possibilités sensorielles, de connaissances et de communication que nous n'avions pas en naissant.
Cette révolution a un peu plus de dix ans : c'est le stade de l'enfance. Un quart des possesseurs de smartphone sont utilisateurs d'applications santé (encore souvent centrées sur le "bien-être", mais avec une soif d'innovation).
Ces patients éclairés et attentifs pourront prendre une plus grande responsabilité dans leur capacité à gérer leur maladie et leur maintien en bonne santé. Ils sont le levier de la grande mutation.
Demain, on pourra, si on le souhaite, faire quelque chose pour soi, afin de se maintenir dans le meilleur état de santé possible et le mesurer avec des "trackers" et des biocapteurs. Tous ces "fitness trackers", tous ces outils, mettables et pas seulement portables, produisent une quantité considérable de données numériques.
Par ailleurs, dans les années à venir, l'e-santé permettra aux utilisateurs de compiler toujours plus de données sur leurs outils connectés (objets, dispositifs médicaux, téléphones mobiles, ordinateurs, tablettes...).
Cette compilation "compulsive" comporte le risque de leur donner l'impression de maîtriser leur santé et d'accéder au rôle de sachant.
• Les objets connectés offrent aux utilisateurs la possibilité de gagner en autonomie : ils peuvent s'auto-mesurer et s'auto-diagnostiquer, évitant ainsi des consultations inutiles.
A contrario, les objets et applications ne doivent pas avoir pour but de capter une clientèle à travers l'outil numérique. Les utilisateurs doivent pouvoir changer d'opérateur, de téléphone mobile ou d'application sans craindre de perdre les données qu'ils ont renseignées.
Cette situation pose la question de la décision diagnostique automatisée.
Quelles seront les obligations du fournisseur ?
Autres questions connexes liées à ce sujet : comment gérer les cas où une alerte sérieuse est générée ? L'alerte devra-t-elle être systématiquement transmise à un professionnel de santé ?
Au fond, la décision diagnostique doit-elle être automatisée ou parfois médicalisée ?
Vers de nouvelles approches de "régulation" des questions éthiques
La manière dont seront gérés ces "nœuds éthiques", et ce, en fonction des pays et régions mondiales, déterminera en grande partie les conditions de diffusion et d'accès aux innovations, mais aussi les modèles fonctionnels de la recherche, les approches économiques (business models) de demain.
Le questionnement éthique et les modalités de travail sur les "nœuds éthiques" seront au cœur des processus santé demain, tout autant que les aspects d'évaluation des bénéfices et des risques, les aspects organisationnels, de financement ou d'accès.
(Dynamique 6 : Le questionnement éthique, incontournable de l'évaluation et de la diffusion de l'innovation de santé).
Extrait de Santé 2030 - Partie 1 : les dynamiques à l'oeuvre - Retrouvez l'intégralité de l'étude sur le site.