Economie

Le marché intérieur français

19.02.24
Marché français : marché intérieur

L’industrie du médicament est un secteur singulier par son importance sanitaire et industrielle mais aussi par son cadre législatif et budgétaire strict.
Alors que les comptes de la Sécurité sociale étaient proches de l’équilibre en 2019 grâce à dix années de régulation drastique, la crise de la Covid-19 a brutalement dégradé le déficit des différents régimes, toutes branches confondues, qui a atteint un niveau inédit en 2020, à 39,7 milliards d’euros.
En 2021, une nette amélioration est constatée puisque le même déficit s’élève à 24,4 milliards d’euros.
Cette amélioration se poursuit en 2022 avec un déficit estimé à 19,6 milliards d’euros.
Dans ce contexte budgétaire contraint, le médicament est un levier d’économies systématiquement activé par les pouvoirs publics.
La dépense en médicaments représentait 14 % des dépenses de l’Ondam en 2010, contre 11 % en 2022, alors même que la population française vieillit et que l’incidence de pathologies nécessitant un traitement médicamenteux, comme les cancers, augmente.
Ainsi, la politique du médicament, pilotée principalement par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), considère le médicament sous l’angle du contrôle de la dépense au travers d’une régulation croissante (régulation des prix par la mise en œuvre de campagnes de baisses de prix et par la progression des remises, mobilisation et réformes multiples des dispositifs de clause de sauvegarde, etc.) à laquelle s’ajoute l’une des fiscalités les plus lourdes d’Europe.

 


25,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires net pour les médicaments en ville en 2022

Le secteur pharmaceutique est un champ large (médicaments de ville, dispensés à l’hôpital, remboursables, non remboursés…) dont le chiffre d’affaires peut être appréhendé à des périmètres différents.
En France, l’Assurance maladie est le principal financeur des médicaments, justifiant ainsi un intérêt particulier pour le périmètre des médicaments remboursés, dont les prix sont administrés.
Ce périmètre comprend les médicaments de ville remboursables, les médicaments dispensés à l’hôpital au titre de la liste en sus et les médicaments de rétrocession. L’existence d’accords financiers entre l’Etat et les acteurs de l’industrie pharmaceutique conduit en outre ces derniers à reverser annuellement une partie de leur chiffre d’affaires, au titre des remises conventionnelles (voir chapitre « Prix, résultats et fiscalité »).
En 2022, le chiffre d’affaires net des médicaments remboursés (hors officine DOM-TOM, remises) s’élève à 25,3 milliards d’euros.
Note : la clause de sauvegarde conduit également au reversement annuel par les acteurs de l’industrie pharmaceutique d’une partie de leur chiffre d’affaires (voir chapitre « Prix, résultats et fiscalité »). Bien qu’ayant in fine un impact sur le prix net des médicaments, ces reversements ne sont pas pris en compte dans le graphique 22.

 

 
 

Quelle dynamique pour les autres acteurs de la chaîne du médicament ?

Le prix fabricant hors taxes des médicaments remboursés sert de base pour déterminer la marge des grossistes et des officines pharmaceutiques (voir chapitre prix).
D’après le rapport Charges et produits de la CNAM, en 2022, la rémunération des officines liée à la dispensation de médicaments remboursés, aux nouvelles missions des pharmaciens et aux rémunérations en lien avec la pandémie de Covid-19 s’élève à 8,5 milliards d’euros, soit une rémunération moyenne de 386 000 euros par officine, contre 315 000 euros en 2020.
Cette hausse historique de la rémunération n’est pas seulement liée à la pandémie puisque, hors rémunérations spécifiques à la crise de la Covid-19, la rémunération des pharmacies a connu en 2022 une croissance particulièrement forte (+4,8 %).
A noter qu’en 2022, la marge réglementée sur les prix des médicaments et les honoraires à la dispensation représentaient 60 % de cette rémunération, et les remises commerciales sur les médicaments génériques ont participé pour 13 % au chiffre d’affaires des pharmacies.

En ville : une croissance brute de 10,3 % en 2022

En 2022, le chiffre d’affaires brut des médicaments en ville s’est élevé à 25,7 milliards d’euros (en prix fabricant hors taxes), soit + 10,3 % par rapport à 2021.
• Le marché des médicaments remboursables a vu son chiffre d’affaires croître de 9,7 % entre 2021 et 2022.
• Les médicaments non remboursables ont connu une forte croissance (+17,9 %), stimulée par le retour des pathologies infectieuses après deux ans de contexte pandémique. Leur chiffre d’affaires s’élève ainsi à près de 2 milliards d’euros.

 


A l’hôpital : une forte augmentation en 2022

Le marché hospitalier remboursable, incluant les médicaments de la liste en sus, de rétrocession et les accès dérogatoires, a connu une forte croissance (7,8 %) entre 2021 et 2022, pour atteindre 9 076 millions d’euros bruts.
 

L’évolution du chiffre d'affaires brut est-il le bon indicateur pour mesurer la croissance sur le marché domestique français ?

Non, l’évolution du chiffre d’affaires brut ne permet pas d’évaluer la dynamique des dépenses de médicaments
par l’Assurance maladie ni la croissance réelle du chiffre d’affaires des médicaments remboursables en France.
Le marché du médicament a été marqué ces dernières années par un niveau de croissance brute inédit depuis
vingt ans.
L’augmentation des besoins, la mise sur le marché de médicaments innovants et les extensions d’indication de molécules déjà sur le marché auront contribué à cette forte croissance.
Cependant, sur l’ensemble du marché en ville et à l’hôpital, si l’on déduit les remises payées par les industriels,
le marché pharmaceutique régulé était le même (environ 23 milliards d’euros) en 2019 qu’en 2009.
Ainsi, malgré l’augmentation du nombre de patients traités (sous le double effet de la démographie et de l’épidémiologie), le vieillissement de la population et l’arrivée de deux vagues majeures d’innovations thérapeutiques
(les nouveaux traitements de l’hépatite C en 2013 et, plus récemment, les immunothérapies dans le cancer),
la croissance du secteur était restée atone.
En 2020, une explosion du montant des reversements annuels de remises a été observée, s’expliquant notamment par un transfert comptable d’environ 700 millions d’euros de remises liées à des accès dérogatoires entre 2019 et 2020.
Malgré la poursuite de la dynamique exponentielle des remises versées par les entreprises ces deux dernières années, le chiffre d’affaires net des médicaments remboursables renoue avec la croissance en 2021 et en 2022.

 


Au-delà du chiffre d’affaires résultant de la prise en charge de médicaments sur le territoire français par l’Assurance maladie, l’export représente une part prépondérante du chiffre d’affaires des entreprises du médicament (57 % en 2022).
La croissance significative de ce chiffre d’affaires réalisé à l’export (+8 % en 2022) est à relativiser face à l’augmentation des importations et la dégradation du solde commercial depuis plusieurs années (voir sous-chapitre « Marché pharmaceutique mondial » plus haut).
En effet, comme décrit plus haut, bien que les produits pharmaceutiques, comprenant notamment les médicaments, demeurent le 4e excédent commercial en 2022, la balance commerciale des produits pharmaceutiques devrait être négative en 2023.
En outre, l’institut Rexecode a démontré que la part de marché de la France à l’export n’a cessé de diminuer au cours des dernières années.
Ainsi, la part de marché des exportations françaises de produits pharmaceutiques a diminué de 0,3 point en 2020 et de 1,6 point en 2021.

 

Le marché des génériques en 2022

Le répertoire des génériques est géré par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans une approche rigoureuse de santé publique fondant la confiance des parties prenantes.
Il est constitué des groupes génériques représentant le médicament princeps et ses génériques — que ces derniers soient commercialisés ou non sur le territoire.

En 2022, le chiffre d’affaires de ce répertoire s’élève à 5 115 millions d’euros (1 327 millions pour les princeps et 4 013 millions pour les génériques).
L’arrivée des génériques à la tombée dans le domaine public du brevet de princeps permet de générer d’importantes économies. Ainsi, l’année 2022 a été marquée par la perte de brevet de plusieurs molécules majeures, entraînant une progression de 6,5% du chiffre d’affaires du répertoire générique.
Néanmoins, la part de marché des médicaments inscrits au répertoire des génériques a diminué, passant de 24 % en 2021 à 23 % en 2022.
Ainsi, les médicaments sous brevet ou n’appartenant pas au répertoire des génériques constituent désormais 77 % des médicaments remboursables. Cette diminution résulte de la forte croissance des médicaments hors répertoire (+10,8 %).
En décembre 2022, les ventes de génériques représentaient 84,8 % du nombre de boîtes vendues dans le répertoire, contre 83,9 % en 2021. Cette importante progression du taux de pénétration des génériques est liée à la mise en œuvre de l’article 66 de la LFSS de 2019.

 


Les dispositions initiales de l’article 66 de la LFSS 2019, applicables au 1er janvier 2020, encadrent le recours à la mention « non substituable (NS) ». Elles instaurent le principe d’un moindre remboursement en cas de refus de substitution et limitent le remboursement à la base de remboursement la plus chère en vigueur du générique ou de l’hybride.
Depuis le 1er janvier 2020, les patients ont donc le choix entre accepter la substitution générique en officine et bénéficier du tiers payant, ou exiger le médicament princeps et avancer entièrement les frais en assumant une éventuelle différence de prix entre le médicament princeps et le générique le plus cher (cette différence de prix ne faisant plus l’objet d’un remboursement par l’Assurance maladie).

Par ailleurs, l’article 42 de la LFSS 2020 prévoit que l’alignement des conditions de remboursement entre princeps et génériques ne s’applique qu’après deux ans suivant la publication au Journal officiel du prix du premier générique du groupe. A la suite de la parution d’un arrêté d’application, cette mesure est entrée en vigueur le 15 décembre 2020.

 

Le marché des biosimilaires en 2022

Le marché des médicaments biologiques (produits de référence et biosimilaires) constitue un objectif essentiel de maîtrise des dépenses de médicaments par les pouvoirs publics. C’est par ailleurs un enjeu important de politique industrielle pour la France.
Après avoir connu des croissances spectaculaires ces trois dernières années (+51,1 % en 2019, +18,9 % en 2020 et +21,7 % en 2021), le marché des biosimilaires enregistre une dynamique plus mesurée en 2022 avec une croissance de 6,4 %, pour atteindre 1 232 millions d’euros, et ce malgré l’arrivée sur le marché de six nouveaux biosimilaires. Ces nouvelles spécialités ont impacté le marché des bioréférents dont le chiffre d’affaires a diminué de 14,6 % pour atteindre 920 millions d’euros en 2022.
La substitution en officine des médicaments biosimilaires a fait l’objet d’importantes évolutions ces dernières années.
Alors que la LFSS pour 2020 avait supprimé cette éventualité de substitution par le pharmacien, le gouvernement avait engagé dans le même temps des travaux avec les parties prenantes qui ont abouti à rétablir une possibilité de substitution pour des groupes biosimilaires spécifiques dans la LFSS pour 2022 et ses textes d’application.
Les deux groupes de biosimilaires substituables ont été publiés par arrêté ministériel du 12 avril 2022 et concernent le filgrastim et le pegfilgrastim.
De nouvelles évolutions sont attendues dans la LFSS pour 2024.

 


L’automédication, un marché en croissance

L’automédication est l’utilisation, à l’initiative du patient, pour lui-même ou ses proches, et hors prescription médicale obligatoire, de médicaments ayant une autorisation de mise sur le marché.
En France, l’automédication est peu développée, alors même qu’il s’agit d’une réponse thérapeutique aux demandes des patients, et qu’elle constitue une première étape avec un professionnel de santé dans le parcours de soins.
En 2022, elle représente, d’après NèreS, l’association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable, 2,6 milliards d’euros, soit une croissance de 11,3 % par rapport à 2021.

Les 100 premiers médicaments réalisent 43,8 % du chiffre d’affaires ville

Les antinéoplasiques et immunomodulateurs représentent la classe la plus importante du marché officinal en valeur (23,5 %), suivis par les médicaments du système nerveux central (14,1 %) et par les médicaments de l’appareil digestif et du métabolisme (10,4 %).

 


Le médicament est un élément clé de soutien à la transformation des hôpitaux

Le secteur hospitalier comptait 2 987 établissements au 31 décembre 2021 selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Soit 1 344 établissements publics, 661 établissements privés à but non lucratif et 982 cliniques privées à caractère commercial.
Le médicament joue un rôle majeur et néanmoins méconnu dans le processus d’économies sur le budget hospitalier.
Contrairement à de nombreux autres pays occidentaux, la France a choisi de faire de l’hôpital le sas d’entrée du progrès médical et thérapeutique. Cela a abouti à des résultats spectaculaires sur le plan de la relation médicament-hôpital.
Aux grands progrès historiques (quasi-suppression de la chirurgie gastrique grâce aux antiulcéreux, trithérapie pour les patients atteints du VIH, désormais traités en ville, nouveaux traitements de l’hépatite C limitant les greffes de foie…), il faut ajouter la diminution de la durée des séjours et l’augmentation du coût moyen d’une journée d’hospitalisation (quantité, technicité et qualité des soins accrues). Le médicament, par l’impact organisationnel qu’il peut générer, peut être vecteur d’économies structurelles pour les établissements de santé et, plus généralement, pour le système de soins.
Une étude, menée par le cabinet Jalma, en 2016, s’est intéressée à l’impact de l’innovation en cancérologie sur l’organisation des soins en France.
Dans un premier temps, les auteurs ont comparé, de manière rétrospective, le recours aux anti-TNF alpha dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, et les économies qui en ont découlé en France et en Allemagne, en ne prenant en compte que les dépenses de santé.
Les résultats démontrent que si la France avait connu une organisation similaire à celle de l’Allemagne, elle aurait économisé 70 millions d’euros supplémentaires pour les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde sur trois ans (période 2004-2007). Cette différence s’explique notamment par le circuit de prise en charge des anti-TNF. En effet, en France, l’administration se fait à l’hôpital dans 60 % des cas, contre seulement 10 % en Allemagne, où les services hospitaliers ont été redimensionnés en conséquence.
Fort de ce constat, les auteurs ont alors cherché à analyser l’impact des prochaines innovations et à estimer les économies réalisables par la réorganisation de l’offre de soins.
L’étude s’est intéressée au cancer de la prostate métastatique.
L’économie cumulée à dix ans, hors coût du médicament, a été évaluée à 365 millions d’euros, soit un allègement du coût de cette pathologie de 12,7 %.
Le médicament peut être pourvoyeur d’économies supplémentaires, à condition que le système de soins s’adapte, à la suite de l’arrivée d’innovations ou de produits améliorant la prise en charge des patients.

Une promotion réglementée et encadrée par des bonnes pratiques contenues dans la charte de la visite médicale

La publicité pour les médicaments à usage humain est définie comme toute forme d’information, y compris le démarchage de prospection et d’incitation visant à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de ces médicaments.
La publicité pour un médicament n’est possible qu’après l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (article L. 5122-1 du Code de la santé publique). La réglementation prévoit des dispositions spécifiques à la publicité des médicaments, selon qu’elle est destinée au public ou aux professionnels de la santé. La publicité auprès du public pour un médicament n’est admise qu’à la condition que celui-ci ne soit pas soumis à prescription médicale, qu’il ne soit pas remboursable par les régimes obligatoires d’assurance maladie et que l’autorisation de mise sur le marché ou l’enregistrement ne comporte pas de restrictions en matière de publicité auprès du public en raison d’un risque possible pour la santé publique.
Le contrôle de la publicité pour les médicaments est exercé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), après avis de la commission chargée du contrôle de la publicité et de la diffusion de recommandations sur le bon usage des médicaments.
Chaque année, les entreprises du médicament sont redevables d’une contribution sur leurs dépenses de promotion ; le montant de cette taxe est de l’ordre de 70 millions d’euros en 2022.
L’assiette et les taux de taxation sont définis dans le Code de la Sécurité sociale et sont régulièrement modifiés par les lois annuelles de financement de la Sécurité sociale.
Les activités de promotion sont en outre encadrées par de bonnes pratiques contenues dans la charte de la visite médicale.

L’industrie pharmaceutique en France : un marché national administré dans un marché international concurrentiel

La France représente 3 % du marché pharmaceutique mondial. A l’international, le médicament opère dans un marché concurrentiel, tandis qu’en France, le marché pharmaceutique est administré par les pouvoirs publics.
Cette dualité du marché français, contraint à la fois par la concurrence avec les autres pays et par une régulation croissante à l’échelon national, questionne son attractivité et sa soutenabilité.
Malgré une croissance brute importante, l’évolution du chiffre d’affaires net des médicaments remboursés entre 2009 et 2019 est restée atone. Cette absence de croissance surprend, alors même que le vieillissement de la population, l’augmentation de l’incidence et la chronicisation des cancers et l’arrivée d’innovations décisives auraient pu entraîner un emballement de la dépense.
Elle s’explique par un contrôle strict de la dépense par les pouvoirs publics au travers de multiples leviers de régulation.

Un marché national régulé
En effet, dès 1975, pour faire face à une récession importante, des décisions sont prises pour enrayer la dépense pharmaceutique (diminution ou suppression du remboursement de certaines spécialités, baisse de prix, augmentation de la participation des assurés…). La régulation s’intensifie dans les années 1990 avec l’instauration de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) en 1995 et la mise en place d’une clause de sauvegarde en 1999 (lire l’encadré plus loin).
Les lois de financement annuelles de la Sécurité sociale (LFSS) organisent l’équilibre entre les dépenses et les recettes de l’Assurance maladie autour de quatre grandes enveloppes (médecine ambulatoire, hôpitaux soumis à la tarification à l’activité, autres établissements de soins et établissements médico-sociaux). La mise en place, depuis 2004, de plans annuels de baisses de prix, a eu une incidence forte sur la croissance du chiffre d’affaires du médicament remboursable.
La régulation économique du médicament se fait dans un cadre conventionnel Etat/industrie. L’accord-cadre Leem-CEPS définit les modalités de négociation des prix des médicaments remboursables entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les laboratoires. Il prévoit également des dispositions contraignantes pour l’industrie (voir chapitre « Prix, résultats et fiscalité »).

Néanmoins, ces dernières années, la diversité des outils mis en place par les pouvoirs publics (CEPS, HAS, Uncam) ont multiplié les outils de régulation extraconventionnels.
Au-delà des baisses de prix, les référentiels de bon usage et les rémunérations sur objectifs de santé publique (ROSP), ou le début d’encadrement des prescriptions hospitalières, renforcent la maîtrise des volumes et, par conséquent, limitent la croissance du chiffre d’affaires.
La dépense en médicaments consentie par l’Assurance maladie, qui va contraindre le chiffre d’affaires du secteur, est définie lors de la construction du budget de l’Assurance maladie dans le cadre de la LFSS.
Jusqu’en 2018, le Code de la Sécurité sociale prévoyait la fixation d’un taux de croissance du chiffre d’affaires des médicaments.
Ce taux, négatif en 2015 et en 2016, a pu constituer un signal défavorable pour l’investissement de l’industrie en France, et a été dissocié en 2017 pour réguler séparément les médicaments délivrés en ville (taux Lv) et à l’hôpital (taux Lh).
En 2018, l’équilibre de ces taux (0 % pour Lv et 3 % pour Lh) revenait à contraindre le marché pharmaceutique agrégé (ville et hôpital) à un taux de croissance de 0,9 %. A compter de 2019, le montant de la dépense est désormais défini en France par une unique enveloppe, englobant la ville et l’hôpital (enveloppe M).
Pour 2022, cette enveloppe autorise une croissance de 1,7 % pour le médicament.

Une croissance affectée par le système de régulation
Le taux de croissance annuel moyen a diminué de 7 points en quinze ans. Il s’établissait à 7 % au début des années 2000. Il se situe à 2,4 % en 2020, après une croissance de 1,3 % en 2019.
Entre 2019 et 2021, la croissance du marché pharmaceutique s’est avérée fluctuante, notamment à cause de la pandémie de Covid-19 qui a fortement impacté la consommation de médicaments en 2020, ainsi que le report comptable de remises liées à l’exercice 2019 sur l’exercice 2020 (ce report a artificiellement majoré le chiffre d’affaires 2019 et minoré le chiffre d’affaires 2020, et majore donc artificiellement la croissance 2021).
La période 2021-2023 témoigne d’un marché dynamique.
L’évolution du chiffre d’affaires brut du médicament (avant remises et clause de sauvegarde) a ainsi triplé, passant de 3 % à la fin des années 2010 à près de 10 % en 2022.
Cette croissance est principalement stimulée par la mise sur le marché de nouveaux médicaments ou de nouvelles indications. Malgré l’augmentation exponentielle prévue des remises (x1,6 entre 2021 et 2023) et de la clause de sauvegarde (x2,9 prévus), la croissance nette du marché reste positive. Néanmoins, elle demeure inférieure au taux d’inflation sur la période (5,2 % en 2022).
En effet, le marché pharmaceutique est pris en étau entre une régulation croissante et un contexte économique général très inflationniste.
A l’occasion de la LFSS pour 2024, le gouvernement a pris la mesure des enjeux de soutenabilité de la clause de sauvegarde pour les industriels du médicament et a souhaité « faire des efforts financiers faveur des produits de santé pour assurer l’approvisionnement du marché français », notamment en permettant une « croissance prévisionnelle des dépenses de médicaments et de dispositifs médicaux devrait être […] de près de 4,6% en 2024 (dont 4,9% pour les médicaments).

Le législateur a également réhaussé le montant M 2023 de 300 millions d’euros. Ainsi, le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde est porté pour l’année 2023 à 24,9 milliards d’euros, au lieu de 24,6 milliards d’euros. En complément, le gouvernement s’est engagé, notamment dans une interview accordée au journal Les Echos le 20 septembre 2023, à ce que « le montant de la ‘’clause de sauvegarde’’ pour les médicaments [soit] maintenu constant à 1,6 milliard d’euros en 2023 et en 2024 », sans que ce chiffre ne soit explicitement cité dans le projet de loi.

 


La régulation de la dépense en médicaments s’appuie sur quatre leviers : les remises, les baisses de prix, la maîtrise médicalisée et la clause de sauvegarde.

1. Les remises permettent à l’Assurance maladie de payer un prix inférieur au prix public pour certains médicaments. Celles-ci sont reversées chaque année par les industriels concernés. Elles sont définies conventionnellement entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les entreprises pour certains médicaments (4 % des produits inscrits faisant l’objet de remises négociées) ou sont définies par la loi dans certains cas. Elles constituent le premier levier de régulation.

2. Les baisses de prix sont conclues entre le CEPS et les entreprises commercialisant des médicaments remboursables en France.

3. La maîtrise médicalisée correspond à des actions mises en place par l’Assurance maladie ayant pour objectif d’améliorer la pertinence des prescriptions et la consommation de médicaments.

4. La clause de sauvegarde se déclenche lorsque le chiffre d’affaires net des médicaments est supérieur au montant M voté lors de la LFSS.

 

 

La clause de sauvegarde : principe, évolutions… et limites

La clause de sauvegarde, créée par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 1999, prévoyait la mise en place d’une contribution ayant pour vocation de « sauvegarder » le budget de la Sécurité sociale d’une croissance plus importante qu’attendue des dépenses supportées au titre des médicaments remboursables à la ville (clause de sauvegarde « ville »).
Son objectif était alors de garantir une croissance du chiffre d’affaires compatible avec l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).

Le mécanisme avait ensuite été étendu aux produits de rétrocession en 2006 et aux médicaments de la liste en sus de la T2A en 2010 (clause de sauvegarde « hôpital »).
La LFSS pour 2015 a fixé l’objectif de croissance du chiffre d’affaires des médicaments à – 1,0 % et a unifié les clauses de sauvegarde « ville » et « hôpital » en une clause de sauvegarde L et a instauré une « clause de rendement », en vertu de laquelle les remises conventionnelles ne sont exonératoires que si leur somme atteint 80 % du total du montant de la contribution L dû au titre de l’année considérée.
Ce nouveau dispositif était assis sur une assiette élargie, nette de remises.

La LFSS pour 2017 a modifié à nouveau ce dispositif. La clause de sauvegarde n’était désormais plus une  contribution déterminée sur le chiffre d’affaires total réalisé à la ville et à l’hôpital, mais un mécanisme de régulation de la dépense pesant distinctement, d’une part sur les médicaments délivrés à la ville par les officines (taux Lv), et d’autre part sur ceux délivrés par les établissements de santé (Lh).
Cette scission du mécanisme de régulation des dépenses de l’Assurance maladie s’accompagne également de
l’application de taux de croissance « L » différents, à savoir un taux Lv à 0 % (pour le chiffre d’affaires des médicaments dispensés à la ville) et Lh à 3 % (pour les médicaments à l’hôpital) pour l’année 2018.
En 2017, le taux Lv n’a pas été dépassé, contrairement au taux Lh (fixé à 2 %), ce qui a conduit les industriels concernés à payer la clause de sauvegarde.

La LFSS pour 2019 a modifié le système de la clause de sauvegarde.
Désormais, l’assiette est de nouveau unifiée entre la ville et l’hôpital, et les génériques et les médicaments orphelins sont inclus. Le chiffre d’affaires considéré est net de remises. La clause de sauvegarde se déclenche si un certain montant « M » de chiffre d’affaires régulé est dépassé pour l’année considérée.
Pour 2019, la croissance du montant « M », initialement fixée à 0,5 %, a été rehaussée à 1 %*.

Pour les médicaments de ville, seul le chiffre d’affaires réalisé au titre des médicaments inscrits sur la liste mentionnée au premier alinéa de l’article L.162-17 du CSS est pris en compte.
Les chiffres d’affaires des médicaments hospitaliers suivants sont à prendre en compte :
— ceux inscrits sur les listes agréées aux collectivités visées à l’article L.5126-4 du CSP (médicaments inscrits
sur la liste de rétrocession) ;
— ceux inscrits sur la liste des spécialités prises en charge en sus des prestations d’hospitalisation mentionnées
à l’article L.162-22-7 du CSS (médicaments inscrits sur la liste T2A) ;
— ceux bénéficiant d’une autorisation temporaire d’utilisation prévue à l’article L.5121-12 du CSP (médicaments sous ATU) ;
— ceux pris en charge au titre de l’article L.162-16-5-2 du CSS (médicaments pris en charge au titre de la période
post-ATU, c’est-à-dire entre l’AMM et la parution au Journal officiel d’une décision de remboursement).

La méthode de calcul de la clause de sauvegarde a fait l’objet de multiples réformes au cours des dernières années, concernant sa structure (une ou plusieurs enveloppes), son mode de calcul (taux de croissance ou montant), son assiette de calcul (exclusion ou inclusion des produits orphelins et génériques) et le chiffre d’affaires visé (chiffre d’affaires brut ou net de remises).
Cette instabilité juridique en fait un instrument de régulation difficile à prévoir pour les industriels.
Depuis 2019, l’enveloppe M est le montant de chiffre d’affaires net de l’ensemble des médicaments remboursables au-delà duquel les industriels doivent reverser une contribution.
Les modalités de construction de ce montant ne sont pas précisées par la loi : alors que le principe de l’enveloppe M est stable dans la loi depuis 2019, son imprévisibilité reste entière du fait de méthodes de calcul fluctuantes.

Jusqu’en 2022, c’est la méthodologie historiquement inscrite dans le code de la sécurité sociale qui a prévalu : le montant M était calculé à partir d’une estimation du CA net de l’année précédente auquel était appliqué un taux de croissance.
Pour l’année 2023, la méthodologie de calcul du montant M n’a pas été communiquée au Leem.

La  clause de sauvegarde, un outil de régulation en voie de détournement

Lors de sa création, la clause de sauvegarde se voulait être un garde-fou pour faire face à une augmentation inattendue des dépenses de médicaments.
Mais depuis 2014, elle conduit à des reversements quasi systématiques, du fait d’un écartement entre la dynamique souhaitée par le régulateur et la dynamique de croissance naturelle des besoins.
Les estimations partagées en septembre 2022 par le ministère de la Santé prévoient des reversements au titre de la clause de sauvegarde, qui devraient avoisiner les 800 millions d’euros pour 2021, soit un montant multiplié par trois par rapport à la plus forte contribution de l’industrie en 2016.
Pour la première fois, un objectif de rendement de la clause de sauvegarde a été inscrit dans la LFSS 2022.

Cet objectif, fixé à 125 millions d’euros, devrait être sensiblement dépassé.
La clause de sauvegarde constitue aujourd’hui un instrument de plein exercice de régulation de la dépense.


Une imprévisibilité néfaste pour les entreprises

Les estimations initiales des montants de clause de sauvegarde à reverser par les entreprises reposent sur une estimation de l’atterrissage du chiffre d’affaires (CA) net en fin d’année N de l’ensemble des entreprises sur le champ des médicaments régulés.
Cette estimation est généralement réalisée sur la base des données de l’année précédente.
Plusieurs facteurs d’incertitude expliquent les difficultés partagées par les entreprises dans l’évaluation de ce montant :
— le CA net N de l’industrie n’est véritablement connu qu’en milieu d’année N+1 ;
— les montants des remises ne sont connus qu’en fin d’année N+1 ;
— le rendement des mécanismes de régulation est inconnu jusqu’à leur parution, c’est- à-dire en fin d’année N+1 pour les baisses de prix, en fin d’année N+2 pour la maîtrise médicalisée.

Ces difficultés sont partagées par l’administration, comme l’ont montré les discussions autour du PLFSS 2022.
Un rendement de 400 millions d’euros au titre de la clause de sauvegarde 2021 avait en effet été avancé par l’administration.

Or, les dernières données partagées par la direction de la Sécurité sociale (septembre 2022) font état d’un montant qui devrait être deux fois supérieur aux estimations initiales.
Les écarts entre estimation et réalisation ont des conséquences directes pour les entreprises :
— une situation d’incertitude difficilement compréhensible pour les maisons mères et les auditeurs, et qui nuit
à l’attractivité des filiales françaises ;
— un impact sur le pilotage du budget et l’atteinte des objectifs des entreprises ; ces changements a posteriori
pouvant par exemple conduire les entreprises à rouvrir les comptes de l’année précédente.

 

Quelle régulation dans les autres pays européens

Dans le contexte de la sortie de crise sanitaire, qui a fortement pesé sur l’ensemble des systèmes de santé, le médicament fait l’objet d’une régulation économique dans beaucoup de pays européens, notamment via un mécanisme de clause sauvegarde.
Néanmoins, les modalités de mise en œuvre de cette taxe particulière varient d’un pays à un autre. Par exemple, les génériques sont soumis au même mécanisme que les médicaments princeps dans la plupart des pays concernés, à l’exception de l’Estonie, la Roumanie et la Slovaquie. La répartition est basée sur les parts de marché, la croissance ou d’autres dispositifs selon les pays.

 


Si, en France, le poids de cette régulation pèse exclusivement sur les industriels, alors qu’ils ne contrôlent pas les quantités prescrites, d’autres pays ont décidé de responsabiliser les différents acteurs impliqués.
En Belgique, la clause de sauvegarde est payée par les industriels mais aussi par les assureurs. En Italie, le gouvernement a estimé que les administrations régionales avaient une responsabilité dans la croissance de la dépense en médicaments. La clause de sauvegarde est donc financée par les laboratoires et par les régions.

 

 

L’essentiel en France

70 milliards d'euros

Chiffre d'affaires total réalisé en 2022 par l'industrie pharmaceutique, dont 48 % à l'export.

869 millions d'euros

Montant des baisses de prix en 2022.

84,8 %

Part des génériques en volume dans le répertoire en 2022.

6,4%

Croissance du chiffre d'affaires des biosimilaires entre 2021 et 2022.

70 millions d'euros

Montant de la taxe sur la promotion payée par les entreprises du médicament en 2022.