Tribune du Lab Médicament et Société : « Restaurons la confiance en l’expertise scientifique ! »
« Nous vivons une véritable crise de l’expertise scientifique ». Pour y remédier, une quinzaine de personnalités du monde de la santé, membres du Lab Médicament et Société* font des propositions, dans le but de renforcer et réformer cette activité. Leurs recettes passent par plus de transparence et de collégialité et davantage de place faite aux patients, mais aussi par l'élaboration d'une charte dans les médias et le renforcement de l'attractivité de l'expertise.
Sollicités par l’État et les médias pour décrypter des enjeux sanitaires et environnementaux de plus en plus complexes, les experts sont devenus des recours essentiels, incontournables. Paradoxalement, nous vivons une véritable crise de l’expertise. Le mode de sélection des « sachants », leur représentativité, le respect de la pluralité font l’objet de critiques croissantes qui entament la confiance que les experts sont censés inspirer.
L’expert scientifique est attendu pour partager des connaissances précises qu’il est capable de mobiliser pour fonder et parfois formuler un avis, qui éclairera la décision publique ou l’opinion publique. En certains cas, il préconise des changements d’approches ou de pratiques. Ce jugement professionnel s’appuie sur des méthodes éprouvées qui doivent permettre d’écarter toute suspicion susceptible d’altérer l’intégrité du savoir.
La transparence est ainsi un élément clé de l'expertise. Mais la confusion, souvent faite, entre les liens d’intérêts – qui peuvent être légitimes — et les conflits d'intérêts — qu’il faut prévenir — peut-être préjudiciable à la qualité des processus d’expertise. Dans un monde d’interactions, des liens d’intérêts se nouent, et le secteur de la santé ne déroge pas à̀ la règle. Pour lever toute ambiguïté, nous recommandons d’organiser une conférence de consensus sur ce sujet, dans le but pédagogique de démêler ces deux notions. D’autre part, nous proposons de mieux définir les critères de sélection des experts par les autorités et de suivre une procédure d’expertise en deux temps, de distinguer deux comités. L’un, élargi à toutes les parties prenantes, qu’il y ait ou non liens d’intérêts, émettrait un avis. C’est le temps de l’expertise scientifique. L’autre, restreint à des personnes sans liens d’intérêts déclarés, adopterait l’avis, en connaissance de cause. C’est le temps de la décision.
Une indispensable pluralité
L’expertise doit également se nourrir de pluralité. La dynamique des démarches participatives et de la démocratie en santé est d’associer l'ensemble des acteurs à l'élaboration des politiques de santé. Nous préconisons de renforcer la place que les patients occupent dans le système de santé en tant qu’experts. Le patient-expert ne doit pas être que l’expert de son expérience, il est le détenteur d’une expertise collective extrapolée d’un grand nombre d’expériences. Telle est sa légitimité. Parce que cette évolution est déterminante, elle rend nécessaire la définition d’un cadre à l’intérieur duquel la production de l’expertise-patient pourra s’intensifier et être reconnue par tous.
Les experts jouent un rôle de premier plan dans les médias et, bien qu’ils y soient en position d’information plus que d’expertise, ils ont une responsabilité vis-à-vis du grand public. Il serait donc utile de clarifier les critères qui fondent le choix de ces experts. Nous encourageons l’élaboration d’une charte de l’expertise en santé des rédactions des médias. Celle-ci préconiserait par exemple de confier les sujets relatifs aux médicaments à des journalistes dotés d’une expertise médicale ou scientifique ou encore d’étoffer le rôle du médiateur scientifique, ce professionnel qui, sans être expert lui-même, allie la compréhension de l’expertise à une aptitude médiatique.
Adapter les formations, valoriser l'activité
Plus généralement, renforcer l’attractivité de l’expertise est un enjeu clé pour notre système de santé. Cela passe notamment par la mise en place de formations adaptées aux besoins, et par la valorisation de l’activité d’expert en termes de carrière et de rémunération, à la lumière de ce que d’autres pays et grandes agences ont adopté.
Les propositions du Lab Médicament et Société découlent de quelques grands principes : la démocratie, la transparence, la collégialité, la place des patients, la formation des experts. Ces notions positives orientent nos recommandations, construites collectivement, dans un esprit de dialogue et de concertation et avec la ferme intention de prendre part au changement.
*Le Lab Médicament et Société est un collectif créé en 2018 à l'initiative du Leem et composé de d’associations de patients, de professionnels de santé et d’entreprises du médicament. Ses propositions sur l'expertise sont issues de son rapport 2021 : « Santé : expertiser l’expertise ».
Jean-Philippe Alosi (Amgen), Jean-François Bergamm (Professeur de Thérapeutique), Thomas Borel (Leem), Catherine Cerisey (Patients & web), Florent Chapel (Autisme Info Service), Anne-Sophie Joly (Collectif national des associations d’obèses), Stéphane Korsia-Meffre (Iatrologos), Magali Léo (Renaloo), Thierry Marquet (Takeda), Anthony Mascle (Pharmacien), Philippe Maugendre(Sanofi), Nathalie Pires-Carius (Novartis), Catherine Raynaud (Pfizer), Jean-François Thebaut (Fédération française des Diabétiques), Jocelyne Wittewrongel (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France).