Thierry Hulot était l'invité de la convention CHAM
La presse s’en est largement fait l’écho, personne n’ignore désormais que les patients Français ne sont pas les mieux servis en ce qui concerne les médicaments innovants. Deux constats principaux ont été objectivés par l’Observatoire de l’accès et de l’attractivité[1].
Premièrement, l’accès à l’innovation en France est long. Bien que nous possédions des mécanismes dérogatoires remarquables pour fournir les molécules aux patients le plus tôt possible, cela reste une réalité. Si le délai d'évaluation des dossiers par la Haute Autorité de Santé (HAS) a diminué de 22 jours entre 2019 et 2022, celui de la négociation de prix et de la parution au JO a crû de 96 jours sur la même période. 13% des dossiers ayant reçu une AMM[2] entre 2017 et 2021 sont toujours en négociation ou en attente de publication.
Deuxièmement, certains médicaments ne sont pas disponibles. Fin 2022, 34% des médicaments ayant reçu une AMM européenne n’étaient pas accessibles en France.
Un « sursis » à évaluer
Côté délais, l’efficience des instances s’est améliorée, les durées des procédures ont été réduites. Nous avons travaillé à l’optimisation de l’accès précoce et cela va également permettre de faire gagner du temps. La situation est plus compliquée pour les impasses d’accès, problème également souligné par le rapport de la Mission « Financement et Régulation des produits de santé », récemment remis à la première Ministre. Elles ont deux origines. Dans un cas, les données sont immatures car les médicaments sont nouveaux. Ces derniers obtiennent alors une mauvaise évaluation (ASMR V[3]), ce qui entrave leur mise sur le marché. Or les patients ont besoin de ces traitements ! Pour eux, les entreprises du médicament demandent un sursis à évaluer. Pour l’instant, cette mesure n’a pas été intégrée dans le PLFSS 2024 mais nous continuons à soutenir qu’elle est indispensable.
Dans l’autre cas, il n’existe pas de données comparatives. Soit pour des raisons éthiques : quand la vie est menacée et sans alternative, il n’est pas possible de donner un placebo à des patients pour réaliser une étude. Récemment, plusieurs médias ont relayé les protestations de médecins et sociétés savantes à propos de 7 anticancéreux dont l’évaluation par la HAS s’est soldée par un SMR[4] insuffisant. Ou encore pour des raisons numériques avec des maladies rares qui se caractérisent par une insuffisance de population dans les études. Là encore, le couperet d’une mauvaise évaluation paralyse la mise sur le marché.
Le poids de la clinique
Derrière ces situations, se cache en réalité un déséquilibre entre des considérations méthodologiques et des considérations cliniques. Bien sûr, il faut conserver notre rigueur. Mais elle ne doit pas être un frein pour les patients. Certes, il y a eu des efforts dans la doctrine, notamment en pédiatrie et dans le domaine des antibiotiques. Mais il faut aller plus loin. Le Leem s’est saisi du sujet et nous proposons de revoir la doctrine, et notamment de renforcer le poids de la clinique dans les évaluations. La réforme européenne actuelle de l’évaluation des produits de santé peut être une opportunité pour s’y atteler.
De l’expertise en santé
Reste la question de la responsabilité de l’expertise clinique. La confusion, trop fréquente, entre les liens d’intérêts – légitimes — et les conflits d'intérêts — qu’il faut prévenir — peut-être préjudiciable à la qualité de l’expertise. En effet, dans un monde d’interactions, des liens d’intérêts se nouent, et le secteur de la santé ne déroge pas à̀ la règle. Le Lab « Médicament & Société » du Leem[5] a publié fin 2022 des propositions pour renforcer et réformer l’expertise scientifique, comme une meilleure définition des critères de sélection des experts par les autorités, le renforcement de la pluralité, de la place des patients et de l’attractivité de l’expertise. La mission « Financement et Régulation des produits de santé » de la première Ministre recommande également de renforcer la place des cliniciens dans les différentes procédures d’accès au marché, notamment l’évaluation. Si la trajectoire est claire, il reste maintenant à construire collectivement le changement dans un esprit de dialogue et de concertation.
[1] Le Leem a mis en place l’Observatoire de l’accès aux médicaments et de l’attractivité en France, un outil de mesure à 360° confié au cabinet Roland Berger. Les résultats de la première édition ont été publiés en juin 2023.
[2] Autorisation de Mise sur le Marché.
[3] Amélioration du service médical rendu. Notée de I à V, une ASMR V correspond à une « absence de progrès thérapeutique ».
[4] Service médical rendu.
[5] https://www.leem.org/le-lab