Discours de la conférence des vœux du Leem du 17/01/2023
Intervention de Thierry Hulot, Président du Leem
Bonjour à toutes et tous,
Bienvenue dans cette traditionnelle rencontre de début d’année avec les entreprises du médicament. Avant de commencer je voudrais vous souhaiter à tous ainsi qu’à vos proches une bonne année 2023 remplie de joie et d’optimisme malgré les turbulences que nous traversons.
Je forme également des vœux pour que tous les acteurs de notre secteur - entreprises du médicament, pouvoirs publics et parties prenantes - se mobilisent autour d’un objectif commun : servir les patients ! Servir les patients, en leur garantissant dans la durée l’accès aux traitements, matures ou innovants, dont ils ont besoin.
Vous vous souvenez certainement qu’il y a un an, les entreprises du médicament faisaient preuve d’optimisme. La crise de la Covid avait rappelé à tous le caractère stratégique de notre industrie tout comme la nécessité de retrouver une souveraineté industrielle en produits de santé. Des réformes profondes avaient été engagées, comme celle de l’accès précoce, et nous étions parvenus à retrouver une dynamique nouvelle, tant en matière de recherche clinique, que d’investissement ou d’emploi. Le chemin à parcourir s’annonçait long mais il semblait que la France avait repris en main une politique du médicament tournée vers l’avenir, avec, à travers les plan Innovation Santé 2030, une feuille de route claire.
Or, l’année qui vient de s’écouler a marqué un coup d’arrêt de cette politique volontariste. En cette période de vœux, espérons qu’il ne sera que transitoire. En effet, le PLFSS 2023 nous a fait retourner à un système de régulation économique basé sur des baisses de prix à répétition et une fiscalité sectorielle sans limite. Avec notamment l’explosion de la clause de sauvegarde, qui confisque l’essentiel de notre croissance, et ce dans un contexte hyper inflationniste que vous connaissez tous. En un mot : nous sommes revenus à une approche purement comptable et courtermiste de la politique du médicament. Ce que nous déplorons.
Certes, le médicament est un bien de consommation courante financé par la dépense publique, mais il obéit aux règles d’un marché, qui lui est mondial. Avoir en France une approche purement comptable envoie à toutes les entreprises du médicament, nationales comme internationales, un message délétère en termes d’attractivité de la France pour la recherche, pour la présence industrielle, pour l’emploi et, à terme, pour l’accès à l’innovation.
Je pourrais facilement passer la matinée à vous présenter, représenter tous ces effets contre-productifs. Mais aujourd’hui, je souhaite donner à mon propos une autre tonalité car la question n’est pas de s’enfermer sur ce qui ne va pas, mais de fermement indiquer ce que nous devons construire ensemble - entreprises du médicament, pouvoirs publics, parties prenantes - pour une politique du médicament au service de nos concitoyens. Le Leem, que nous représentons tous les quatre ce matin, se veut constructif » par rapport à ces enjeux. C’est notre devoir vis-à-vis des patients français.
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Dans ce contexte, nous voyons deux priorités, je dirais deux impératifs, pour 2023.
- Le premier impératif est de garantir l’accès aux médicaments et donc :
- Adresser le problème des ruptures
- S’assurer de l’accès aux médicaments innovants.
- Le deuxième impératif est de réinventer le système de régulation et de financement du médicament. Le modèle actuel ne correspond pas aux enjeux actuels et encore moins à ceux de demain.
Ce sont ces deux impératifs que je souhaite développer maintenant en commençant par la problématique de l’accès.
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Vous, représentants de la presse, vous êtes fait l’écho ces dernières semaines de la problématique des ruptures, ruptures que les Français vivent au quotidien quand ils vont dans leur pharmacie. Ils en sont malheureusement les premiers pénalisés. Concrètement, Plus de 660 ruptures déclarées au premier semestre 2022, contre 900 sur l’ensemble de l’année 2021. Le phénomène s’amplifie de jour en jour.
Il s’agit principalement de produits matures - le plus souvent « génériqués ». Ces ruptures d’approvisionnement ont des causes multifactorielles, d’où la difficulté de pouvoir les combattre efficacement. Ces causes, je vous les rappelle :
- Un regain des pathologies hivernales post-confinements qui n’avait été anticipé par personne ;
- Une augmentation de la demande mondiale de médicaments supérieure à l’augmentation des capacités de production ;
- La concentration des fournisseurs de matières premières et d’excipients, avec un risque de rupture fort si un quelconque problème survient dans l’une de ses usines ;
- La fragmentation de la chaîne de production.
Sans oublier que, dans une activité industrielle, nous ne sommes jamais à l’abri d’un arrêt de production lié à un problème de qualité, un défaut de personnel, un accident industriel… Chaque fois qu’un fabricant est à l’arrêt quelque part dans le monde, il met en tension l’ensemble de la chaine.
Mais nous savons aussi que la France est plus exposée à ce phénomène que ses voisins européens pour plusieurs raisons :
- Première raison, nous avons les prix parmi les plus bas d’Europe, ce qui a plusieurs conséquences : non seulement cela n’incite pas les industriels à investir en France ; mais en plus, la France n’est plus prioritaire en cas de tension d’approvisionnement et ces prix bas encouragent l’exportation parallèle avec un système d’achat-revente par les short-liners vers des marchés étrangers plus attractifs ;
- Deuxième raison, les obligations de stockage en particulier sur les Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur à faible marge - qui n’existent pratiquement qu’en France - et qui conduisent certains industriels à finalement abandonner le marché ;
- Troisième raison : à ces difficultés spécifiques s’ajoute l’explosion des coûts de production, qu’il s’agisse des matières premières, des intrants (principes actifs, emballages en verre, aluminium, carton, dérivés du pétrole…), de l’énergie ou encore de la masse salariale. Les médicaments sont, comme vous le savez, des produits à prix administrés. Nous n’avons donc pas la possibilité de répercuter ces augmentations sur le prix de nos produits à la différence de la quasi-totalité des autres secteurs producteurs de biens de consommation.
Permettez-moi de prendre un exemple d’actualité : comment s’étonner des problèmes d’approvisionnement en amoxicilline, lorsque l’on sait que le prix fabricant hors taxe de la boite se situe à 0,76 euros ? Comment, avec ces niveaux de prix, prétendre en relocaliser la production ?
Un autre exemple : prenons un soluté courant à l’hôpital, le bicarbonate de sodium. Le flacon d’un demi-litre est vendu 1,40 euros. En 2014, le fabricant gagnait 13 centimes par flacon. Aujourd’hui il en perd 17 ! Le fabricant en question est Français. Quand il aura disparu, où nous approvisionnerons-nous ?!
Face à cette situation, l’Allemagne, où les prix sont pourtant plus élevés, vient d’annoncer son intention de relever de 50% le prix de certains médicaments matures a risque de tension. En France, les propositions d’accompagnement proposées par le Leem, que vous retrouverez sur notre site internet, sont restées lettre morte.
Nous devons tous - entreprises du médicament, pouvoirs publics, parties prenantes – répondre de concert au problème des ruptures. C’est une priorité absolue en ce début d’année. Le Leem se veut force de proposition et, d’ici la fin du trimestre, nous reviendrons vers vous pour vous présenter le plan d’action et les recommandations que nous proposerons aux pouvoirs publics. Ces propositions viseront à un meilleur partage de l’information, à la nécessaire mise en place d’un outil de pilotage en temps réel à l’échelle européenne et à une priorisation claire en se focalisant sur les molécules d’intérêt stratégique, c’est-à-dire des 2 à 300 molécules dont les ruptures ont ou auraient des conséquences immédiates sur la santé des patients et dont il est urgent que l’Europe établisse la liste.
J’appelle d’ores et déjà à ce que nos propositions soient au cœur du plan d’urgence 2023 que le Gouvernement s’est engagé à mettre en place.
Pour réussir, il faudra mettre tous les acteurs autour de la table. Il faudra très certainement travailler non pas à la seule échelle française mais au niveau européen. Et il faudra aussi dépasser les incantations et les actions punitives pour atteindre un objectif commun : réduire au plus vite les ruptures d’approvisionnement en molécules majeures.
Au-delà des propositions que nous ferons, on ne peut pas parler des ruptures d’approvisionnement sans parler « production en France » ET « réindustrialisation ».
Retrouvez ci-dessous l’intégralité des interventions de Thierry Hulot, président du Leem, Philippe de Pougnadoresse, administrateur du Leem et Directeur Général d’Ipsen France, et Corinne Blachier-Poisson, administratrice du Leem et présidente d’Amgen France, prononcés à l'occasion des voeux du Leem le 17 janvier 2023.