Tribune libre de Frédéric Collet publiée le 10 avril 2020 sur le site lopinion.fr - "Etre mieux armés demain"
Tous patients ! Si la pandémie que nous traversons est inédite par son ampleur et sa vitesse de propagation, elle est aussi singulière dans son universalité et sa façon de concerner sans distinction près de 7,5 milliards d’individus.
Elle met sous tension l’ensemble des systèmes de santé à l’échelle mondiale et mobilise avant tout les professionnels de santé, qui sont à chaque instant aux avant-postes du combat contre la maladie pour sauver les patients que nous sommes tous devenus. Elle canalise également toute l’énergie des acteurs de la chaîne du médicament autour de trois objectifs majeurs : augmenter les capacités de production mondiales pour les médicaments qui permettent de prendre en charge les patients atteints du nouveau virus, rechercher dans les meilleurs délais un traitement et un vaccin permettant de protéger les populations et, enfin, assurer la continuité d’accès aux traitements chroniques pour l’ensemble des patients.
Au-delà de ces objectifs, j’observe que de nombreux médecins et pharmaciens de nos entreprises ont fait le choix de rejoindre la réserve sanitaire, que beaucoup d’entreprises – même les plus petites – participent à l’effort de solidarité, qu’elles soutiennent des actions innovantes destinées à alléger la charge qui repose sur l’appareil de soins, qu’elles apportent quotidiennement leur appui aux associations de patients. Bref, en acteurs responsables, elles jouent pleinement leur rôle dans la Cité.
Sidération. Mais une fois la sidération et le temps de l’action passés, il conviendra de rebâtir en tirant toutes les conséquences de cette crise du Covid-19. D’ores et déjà, et sans préjuger de l’avenir, il est possible d’ouvrir quelques perspectives qui reposent sur deux enseignements que les circonstances nous rappellent : d’une part la santé est un bien collectif, et d’autre part le soin et le médicament ne sont pas des marchandises comme les autres.
La prise de conscience du caractère stratégique des entreprises de santé est désormais largement partagée. L’Europe a mesuré sa dépendance à l’égard de l’Asie pour la fourniture de principes actifs et de médicaments matures, comme elle pourrait l’être aussi des Etats Unis pour l’accès à certains médicaments innovants. Il nous faudra donc de toute urgence mettre en œuvre une politique industrielle européenne des produits de santé. L’enjeu sera de ne pas nous enfermer dans un protectionnisme aveugle, car le progrès thérapeutique ne connaît pas de frontières, mais bien de réindustrialiser sans démondialiser. Cette politique devra tendre à l’accroissement de l’autonomie européenne dans la production de principes actifs stratégiques, la reconstitution de notre outil de production en médicaments matures d’intérêt sanitaire majeurs, ou encore le développement de nos capacités de recherche et de production dans les thérapies les plus innovantes.
Nous devrons également repenser notre façon d’appréhender l’urgence sanitaire à l’échelle planétaire, européenne et nationale. Notre capacité d’anticipation des zoonoses doit être renforcée à l’échelle internationale, la coordination européenne doit être consolidée de façon à envisager précocement le repositionnement de molécules anciennes, à accélérer la recherche clinique sur les traitements les plus prometteurs et l’accès aux traitements innovants, à sécuriser au plan continental les approvisionnements en produits de santé indispensables.
Dans un pays comme la France, où la critique et la méfiance tiennent trop souvent lieu de réflexion, je suis convaincu que c’est ensemble, dans un dialogue ouvert, innovant et respectueux, que nous pourrons construire le système de santé de demain.
La crise que nous vivons a montré les limites de nos systèmes de santé, confrontés à une vague épidémique d’une ampleur inouïe… mais également leurs immenses capacités d’adaptation faites de courage, d’agilité et d’abnégation de tous, personnels soignants qu’ils soient hospitaliers ou libéraux, autres acteurs de santé, industriels, administrations. Dans un pays comme la France, où la critique et la méfiance tiennent trop souvent lieu de réflexion, je suis convaincu que c’est ensemble, dans un dialogue ouvert, innovant et respectueux, que nous pourrons construire le système de santé de demain.
Nouvelle organisation. Demain, nous devrons imaginer et bâtir une nouvelle organisation des soins, dans laquelle la dépense de santé sera perçue comme un investissement stratégique, où les nouvelles technologies – du numérique à l’intelligence artificielle – viendront appuyer et soulager le travail des équipes soignantes, où l’innovation thérapeutique ouvrira de nouvelles perspectives de prise en charge et de guérison pour les patients. Une organisation des soins où l’on cessera d’opposer stérilement acteurs publics et acteurs privés, pour se concentrer enfin sur leurs synergies autour d’un même objectif : mieux garantir la santé des populations.
Si cette réflexion est commune à de nombreux pays, elle aura en France un caractère singulier du fait du contrat social auquel nous sommes attachés et qui veut que chaque patient où qu’il soit et quel qu’il soit doit bénéficier dans notre pays du traitement dont il a besoin sans distinction. Le Covid-19 est venu nous rappeler qu’il n’existe pas de valeur sociétale supérieure à la santé. À nous, collectivement, de ne pas l’oublier le jour d’après.
Frédéric Collet, Président du Leem (Les entreprises du Médicament).